dimanche 29 janvier 2012

A propos du Kagamibiraki






 À propos du Kagamibiraki

鏡開式について









Au Japon, lors du Nouvel An, les Japonais déposent dans leur maison sur l’autel Shintô ou Bouddhiste ou dans le Tokonoma, 床の間 (petit espace surélevé de style japonais où sont déposées des offrandes ou encore exposés des objets de collection), diverses offrandes dont du sake, 酒, et des mochi (gâteaux faits de pâte de riz cuit à la vapeur et pilé (mortier et pilon), dits pour l’occasion Kagamimochi, 鏡餅, gâteaux en forme de miroir ancien, Kagami, 鏡. Rappelons que le miroir est l’un des symboles par excellence des divinités Shintô, il est alors de forme ronde et est révéré comme un trésor.

Ces offrandes rituelles mises en décoration servent à accueillir, honorer et nourrir le Dieu de l'An, Toshigami, 年神, pendant la période de séclusion qui marque ce moment de fin et de début d'année. Elles sont retirées, généralement le 3, 7 ou 11 janvier. Cette cérémonie, Kagamibiraki, 鏡開き, littéralement, "sortie (de la période) des gâteaux de riz en forme de miroir", marque ainsi les "adieux au Dieu du Nouvel An", Toshigami okuri, 年神送り. À cette occasion, les mochi sont brisés, rompus (du verbe waru, 割る, "casser, briser, fendre", d'où l'autre appellation, moins utilisée, kagamiwari, 鏡割り) en plusieurs morceaux qui sont cuisinés avant d’être partagés par les convives présents.

Cette cérémonie très courante au Japon s’est répandue peu à peu hors des sanctuaires Shintô dans les maisons des familles de la classe guerrière, Buke, 武家, aux époques où cette dernière était florissante. Elle prend place de nos jours dans de nombreux dôjô d’arts martiaux où elle a alors le sens de “premier geste”, “première pratique”, "premier entraînement", Keiko hajime, 稽古始め, de la nouvelle année, par exemple Nukizome, "premier dégainage", 抜き初め, pour la pratique du sabre, Iai, 居合. Ces gestes n'ont un sens que si l'on a conscience que c'est à chaque fois le premier de l'année. Ces gestes initiaux touchent aussi de nombreux domaines d'activités : on dit Kakizome, 書初, pour la calligraphie, Fukizome 吹き初め , pour la flute Shakuhachi, 尺八, ou même Shigoto hajime, 仕事始め, pour la reprise du travail. Par ce fait, la cérémonie de Kagamibiraki signifie la reprise des activités profanes.

Le Dieu de l’An étant une divinité du riz (aliment rituel de la naissance et de la mort), ce repas sacré (partage du gâteau de riz offert au Dieu de l’An) permet la régénération de la communauté (famille, dôjô, société,....). L’absorption des mochi, symboles du Dieu et de la force vitale de la nature, marque le passage d’une année à l’autre, constituant ainsi l’adieu au Dieu de l’An et figurant son départ pour les montagnes dont il descendra, par les cours d’eau, pour insuffler la vie dans les rizières.

Ainsi le Kagamibiraki est une pratique de type rituel, vécue comme représentative du premier geste de l’année ayant un sens particulier important car il est prémonitoire de la pratique à venir : c’est un condensé à forte valeur symbolique et un engagement à tenir ! Au Japon, tous les premiers gestes de l’année, quelles que soient les disciplines ou activités envisagées, sont des gestes ritualisés et ont donc en ce sens une signification plus importante que les gestes répétitifs du quotidien : ce premier geste de l’année correspond à une conception cyclique du temps permettant ainsi de renouveler, de régénérer les gestes quotidiens. Le pratiquant pourra ainsi pendant l’année puiser dans la mémoire de cette cérémonie pour revitaliser sa pratique quotidienne.

C’est aussi la reprise des activités du dôjô, de la vie communautaire des pratiquants, c’est le côté “convivial” (mais avec aussi ses nombreuses obligations) de la cérémonie : reprendre la vie de groupe, chacun ayant une fonction dans un dôjô et devant prendre conscience de sa place comme pratiquant.

C’est l’aspect collectif du Kagamibiraki, ritualisé dans et par la pratique de la calligraphie ou la martiale, ainsi que par le petit discours de présentation de début d’année, etc.... Mais également ritualisé par le partage d’un repas, ou “collation”, après la présentation ou “démonstration technique”, car ce sont les “mochi” mis en décoration dans le Tokonoma (ce qui correspond habituellement dans le dôjô au Kamiza ou Shinden), brisés et mangés par le groupe, qui font la valeur de la cérémonie.

En France nous n’avons pas ces coutumes, mais nous pouvons conserver l’idée de partage d’un repas dans le dôjô après une communion de pratique rituelle. Bien sûr, une partie de cette collation peut être fournie par le dôjô, mais il est essentiel qu’une part soit offerte par les pratiquants : à Oshinkan certains pratiquants apportent tartes salées et sucrées faites maison et quelques boissons. Les pratiquants signifient ainsi qu’ils ne sont pas que des consommateurs de pratique et de nourriture offertes.

On invite à cette cérémonie la famille, les proches, les voisins et gens du quartier qui viennent assister aux “premiers gestes”, à la “première pratique” de l’année à valeur hautement symbolique et participer à la collation. C’est une sorte de petite ”porte ouverte”, mais non ouverte au grand public car cette cérémonie ne constitue en aucun cas une action publicitaire d’envergure. Les personnes invitées sont ainsi soit des personnes liées au dôjô, soit pouvant être intéressées par la vie du dôjô ou assez ouvertes pour pouvoir comprendre le sens de cette cérémonie. En effet la pratique martiale du Kagamibiraki est tout le contraire d’un spectacle ou d’une démonstration publicitaire. Devant des spectateurs favorables et en ayant à l’esprit la longue lignée des anciens et ancêtres auxquels ils sont redevables, les pratiquants, débutants et avancés, s’ingénieront à exprimer calmement et sincèrement leur niveau et la vie de leur dôjô. Toutes les techniques doivent être simples et mettre en évidence les différents aspects de l’enseignement du dôjô. La présentation technique (un échantillon de techniques permettant de mettre du sens dans la “première pratique”) peut aussi se faire par thème, selon les années. Bien sûr, la démonstration technique se prépare, chacun sachant à l’avance ce qu’il va faire, car il faut que les pratiquants soient à l’aise dans ce qu’ils montrent pour pouvoir mettre leur coeur dans la pratique de leur “premier geste” qui exemplifiera, par son sens d’anticipation sur la pratique de l’année, l’enseignement et la vie du dôjô.

Autre rituel lié à cette cérémonie, le “grand nettoyage” (ôsôji), 大掃除, du dôjô : nettoyage complet de fond en comble de toutes les pièces du dôjô, exécuté quelques jours avant le Nouvel An par tous les membres du dôjô, pratiquants d'arts martiaux et calligraphes. Ce nettoyage rituel participe de la purification du dôjô et doit permettre aux pratiquants de se responsabiliser quant à leur lieu de pratique. C’est un événement rituel important dans la vie du dôjô. De même que la cérémonie de Misogi, 禊, "purification", qui a lieu quelques jours avant Noël au dôjô Oshinkan et marque le début de la période de séclusion : une intense et longue pratique nocturne en extérieur par grand froid clôt le temps profane et annonce le temps rituel conduisant au Nouvel An.

Ces différents rites initiaux ont pour but de favoriser le nouvel équilibre temporel qui se produit au Nouvel An et de compenser le vieillissement dû au changement d'année par une régénération due à l'énergie vitale du renouvellement cyclique du temps.

Texte écrit et publié sur le Blog par Simon Pierre Iwao en janvier 2012.                                             

                       
 

Simon Pierre Iwao, Shakuhachi, Kagamibiraki 2012

 
 
 
 
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1, rue Blaja

31500 Toulouse
 
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